DREUX
Le 8 septembre 2007
Chère Dominique,

La machine que nous avions conçue et réalisée pour les panneaux de céramique d'art de l'Islam du musée du Louvre est à présent en service chez nous et grignote la dalle de béton du Matisse.
Le mouvement vertical détermine quant à lui la profondeur de pénétration d'un disque de sciage dans la matière. Une manette contrôlée de la main gauche règle tout aussi librement la profondeur du sciage, avec cependant une précaution éminemment utile : une butée de profondeur réglée par un simple écrou sur une tige filetée qui empêche que, d'un geste maladroit, le disque ne traverse un carreau.
Nous avions beau te l'avoir décrite, rien ne remplace ces quelques photos pour comprendre son fonctionnement. Le disque au diamant est monté sur une meuleuse elle-même posée sur un chariot déplaçable de la main droite librement de gauche à droite et d'avant en arrière sur un chemin de roulement d'une grande souplesse.
A ce propos justement, nous ne procéderons pas tout à fait comme nous l'avions initialement prévu. Au tout début de la découpe, Sandrine était aux commandes. Elle constate rapidement que la méthode utilisée au Louvre, à savoir découper le joint du rang puis le rompre avec son épaisseur de béton, devait être remise en cause. La découpe en "aveugle" d'une bande de carreaux présentait en effet le risque de tailler sans le savoir dans le carreau. Ceci principalement du fait de la si faible épaisseur des carreaux de céramique et des dénivelés parfois supérieurs à l'épaisseur des carreaux. Elle entreprit donc, de façon logique et expérimentale, de découper par fines bandelettes, le béton du panneau, à toute fin de "voir" progresser le travail sans trop risquer d'entailler le revers des carreaux. La première rangée se sépara avec succès.

La procédure de Sandrine était très efficace. Nous l'avons adoptée pour la suite des opérations. Elle s'ajoutait ainsi à celles que nous avions précédemment mises en œuvre pour Chagall, Deck et les anonymes de l'Islam. La poussière cependant recouvrait l'atelier d'une nappe immaculée. Les jours suivants permirent à Benoit d'ajuster la technique - réglage de la machine et de l'absorption des poussières - qui aujourd'hui apporte de meilleurs résultats.
Quelles joies de voir réapparaître peu à peu le revers du carreau. Ce pari qui te semblait si improbable est en passe d'être tenu. Si certains carreaux se "dénudent" aisément d'autres "s'accrochent" au contraire au mortier comme à leur dernière chemise. Et ce sont les plus nombreux.

Dès que le béton d'une rangée est aminci, celle-ci se détache aisément ; en soulevant la planche (comme indiqué par flèches ci-dessus) le joint se rompt puisque c'est l'endroit le plus fragile car le mortier de résine est déjà découpé. Seule la fine gaze et la laitance de ciment blanc relient encore un bref instant ce rang de carreau au rang suivant puis se rompt.
La rangée désolidarisée de l'ensemble se manipule aisément sur sa planche. Puis nous séparons un à un chaque carreau du rang en les soulevant de la même manière jusqu'à ce que la gaze se déchire. C'est bien le principe de la "tablette de chocolat" : chacun sait d'expérience que pour faire de jolis carrés, il faut tout d'abord rompre des barres.
Le travail de notre machine n'est pourtant pas fini. Comme on te le disait, la majorité des carreaux est encore recouvert en partie d'une croûte de mortier qui résiste encore à accepter le divorce. Mais à force de patience, en changeant le carreau de sens, le mortier en bandelettes se réduit à de petits carrés. Il résiste encore ? Qu'à cela ne tienne Nous aurons d'autres moyens de les faire céder.
Mais voici un bel exemple de l'utilité de cette intervention lourde pour la conservation de l'œuvre. Sur cette photo apparaît une fente dans le carreau que nous avions bien repérée sur la face lors du constat initial. Sur le revers du panneau de béton, nous avions relevé les fentes correspondantes. Ici, lors de l'amincissement, les fentes sont en correspondance avec des lacunes linéaires dans les restes du béton, dues à un mauvais mélange ou à une mauvaise répartition.
Ainsi, au cours de ce travail long et délicat nous recueillons, s'il en était encore besoin, les preuves de ce que nous affirmons avec plus de force après chaque expérience de dépose : La nécessité à l'avenir de libérer ainsi toutes les œuvres en céramique de ce lien qui les assujettit par la logique de l'histoire aux bâtiments. Toutes à notre connaissance en ont pâti. Les plus récentes en pâtiront tôt ou tard. Quand elles ne subissent pas les tassements de terrain, les déformations structurelles, c'est le "salpêtre" connu de tout temps pour creuser le pied des murs, ou le soleil qui dilate et fissure l'émail ou la condensation qui s'infiltre que parfois le gel aggrave.

Nous ne désespérons pas de faire passer ce simple message aux maçons : "ne coller plus les céramiques d'art au mur"; et aux restaurateurs : "Ne coller plus les céramiques sur des panneaux. "

Mais alors !
Comment faire ?
Patience ! la solution sera exposée plus tard.

A bientôt,

Sandrine et Benoit.