Chère Dominique

Hier, le premier carreau "tout nu", c'est à dire presque tel que Matisse l'a connu au sortir du four, réapparaît, libre de toute astreinte architecturale, comme nous l'avions voulu pour ton musée. Ce soir, il y en a 16 qui s'étalent sur une étagère de l'atelier, pour l'envahir peu à peu de cette nouvelle liberté mobilière. Ils sont si fins et si légers. 16 sur 128... seulement, certes, mais c'est de bonne augure pour la réussite de l'opération.

Pour en arriver là, il faut une bonne dose de patience pour venir à bout de ce mortier si adhérant parfois qu'on en arrache parfois un peu d'épiderme au revers.
DREUX
Le 19 septembre 2007
Le percuteur pneumatique donne de bons résultats mais il est stressant de générer de telles vibrations sur un carreau si fragile.

Nous rencontrons aussi des altérations surprenantes. Sur l'image de gauche par exemple, une longue fissure suivait la ligne de démarcation entre le plot de mortier et les zones laissées vides. La fente est soulignée sur la moitié gauche par la ligne courbe en rouge. Le petit reste de mortier s'est arraché finalement mais en emmenant avec lui une demi épaisseur du carreau. A l'examen, il apparaît que ce carreau est fendu dans le sens de l'épaisseur (voir photo de gauche) et que cela doit s'expliquer par la présence ou l'absence de mortier. Un effet de la dilatation différentielle probablement entre la masse du mur qui tempère l'échauffement rapide que subit le mince carreau. Celui-ci recevait-il directement les rayons du soleil ? Te souviens-tu de l'orientation de la pièce?
Cependant le panneau gauche comporte-t-il les mêmes risques que le premier ? Peut-être nous réserve-t-il d'autres inconnues que le travail à venir pourrait révéler? Des vices cachés propres à cet autre support que l'expérience du panneau droit ne nous permet pas de deviner. Mais d'avoir réussi la moitié du démontage confirme la pertinence globale du protocole adopté et de chacune des techniques successivement mises en œuvre. Cette assurance sera le meilleur baume pour apaiser les craintes que nous ne manquerons pas d'éprouver alors, du moins d'en diminuer l'impact sur nos sommeils. Tout devrait aller beaucoup plus vite aussi puisqu'il n'y a théoriquement plus rien à inventer ni à mettre au point.

On t'embrasse.

Sandrine et Benoit.

Le volet droit de l'Arbre se trouve à présent totalement démonté, comme si le vent automnal l'avait effeuillé. La céramique se range à présent dans l'atelier comme un livre en 64 chapitres sur le rayon d'une bibliothèque. Mais nous n'avons pas résisté au plaisir d'étaler le premier panneau à l'envers sur la table pour en révéler "la face cachée", telle l'ont vue Matisse et ses collaborateurs. Détail amusant, la numérotation inscrite à l'émail noir au revers est la même que celle que nous avons adoptée.