Dreux
Le 4 septembre 2007
LA CHAPE DE MORTIER DE RÉSINE
Chère Dominique,

Vendredi, avec un jour d'avance, nous avons façonné la chape de sable-résine. Tout devait se faire en 3 heures pour respecter les temps de prise et couper la "pâte" au droit des joints avant que la résine ne prenne. La tension fut à son comble lorsqu'il nous sembla que nous manquerions de résine et de sable. La déformation de la surface était en effet si importante que le volume de la chape excédait nos plus lourdes prévisions. Un sac de vermiculite nous tira d'affaire en allongeant le mélange tout en allégeant le poids.
Mais on oubliait ! En préalable et du fait de cette déformation de la surface dont nous minimisions encore l'importance, nous avions recherché les séries de carreaux contigus offrant la plus grande planéité. Nous avions aussi déterminé dans quel ordre elles se présenteraient de la périphérie vers le centre du panneau. Ces séries détermineraient en effet une progression logique dans la découpe du béton armé qui éviterait que le disque au diamant ne pénètre en aveugle plus profondément que le béton, c'est à dire dans le carreau de céramique au risque de le traverser. Pour chacune de ces rangées, a été découpée à dimension une planche de contre-plaqué qui sera placée ensuite sur la chape de mortier de résine.

Un cadre en acier à la périphérie nous permit de disposer le mélange de sable et de résine, de le damer et de le niveler parfaitement jusqu'à constituer un plan suffisamment rigoureux pour le retournement.
Nous avions eu la chance il y a quelques années, lors de la restauration du fameux "Colosse d'Alexandrie", de découvrir une résine époxy qui se laissait charger d'une grande quantité de sable en conservant une haute résistance, qualité que nous attendions en effet pour de telles masses de granit. Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir incidemment - ce que le fabriquant lui-même ne soupçonnait pas - que ce mortier de résine se laissait détruire à l'acétone en quelques instants. Cela lui conféra une haute valeur pour les actes de restauration puisqu'il répondait au mieux aux critères de "réversibilité" si importants dans notre profession.
Avant que la résine ne soit totalement prise, nous avons découpé la chape de résine à l'aplomb des joints. Cette précaution, indispensable, nous permettra de séparer les carreaux lorsqu'ils seront débarrassés de leur support.

Nous avons fabriqué une règle particulière pour cette tâche qui ne déformait pas la surface plane de la chape.
Sur le damier de mortier, nous avons déposé les gabarits de contre-plaqué représentant l'ordre des rangées de carreaux à découper, puis un plateau de bois qui constituera la table de travail après retournement. La cage d'acier fut refermée une nouvelle fois sur la moitié de l'Arbre de Matisse.

Cette fois l'œuvre était doublement, donc totalement, prisonnière. Tu comprends, elle est prise en sandwich entre la dalle de béton et la chape de mortier de résine. Pendant que la seconde formera sous le frêle carreau de céramique un mur de substitution, la première sera bientôt détruite sous les dents acérées du disque au diamant.

Nous pouvons à présent envisager de retourner le panneau sur la face. Cette étape nous inquiète grandement. En effet, nous savons que le mortier-colle est inégalement réparti entre le béton et les carreaux. Nous savons que le "ventre" au centre du panneau signifie qu'un petit vide existe entre les carreaux et leur colle, formé sous la contrainte du cadre d'acier. Nous avons tout envisagé pour répartir la charge lors du retournement. Mais que va-t-il se produire lorsque les quelques 300 kg du béton armé et le poids propre de la structure s'appuieront sur les pleins et les vides ?

Mais à chaque jour suffit sa peine. Nous t'écrirons demain, dès après l'opération.

Nous t'embrassons.

Sandrine et Benoit