JOURNAL D'UNE RESTAURATION
Courriel à Dominique Szymusiak
DREUX
Le 22 août 2007
Chère Dominique,

Les deux panneaux du Matisse sont arrivés jeudi 16 au matin, dans un camion gigantesque qui, pas plus que le chameau dans le chas de l'aiguille, ne put pénétrer notre minuscule rue médiévale.
Après avoir écorné le haut de la devanture d'un café et promené "l'arbre" en ville, une fois n'est pas coutume, sur huit roulettes bien mieux appropriées à l'étroitesse des lieux, l'œuvre est arrivée enfin dans notre petit univers verdoyant, juste entre deux nuages, mais sans casse et parfaitement incognito.
La réflexion du week-end et les premiers jours de la semaine ont permis de concevoir et de mettre en œuvre la procédure de basculement. C'est chose faite depuis le début de cet après-midi. Le côté droit de l'Arbre, celui portant le tronc, est à présent couché sur le dos, la face libérée de sa camisole d'acier. Rien n'a bougé. Pas d'autres fêles que ceux répertoriés à St-Jean. Le voyage en cage s'est donc fort bien déroulé.
De plus près, nous avons décelé deux petits éclats regrettables sur la tranche. Un coup porté sans doute lors de la manutention. Les minuscules fragments retenus par la toile de gaze ont été conservés et immédiatement recollés.
Les préparatifs sont souvent plus longs que le travail lui-même. Rappelle-toi la dépose. La table de retournement, par exemple, aura demandé à Benoit beaucoup de réflexion et deux jours de réalisation, tandis que le basculement s'est fait en un quart d'heure. Mais cela a si joliment fonctionné. À présent, les retournements à venir ne nous font plus aussi peur et la même table de bascule sera réutilisée recto/verso, donc trois fois encore, pour les deux panneaux.
Vue à plat, la première chose qui saute aux yeux, c'est l'incroyable "ventre" qui gonfle la céramique en son milieu comme lève un pain. Il faut croire que ceci est l'enfant d'un maçon malhabile car ce panneau ne sonne pas le creux comme le second. Mais nous ne sommes encore sûrs de rien. Il faut progresser pas à pas.

Rien d'irrémédiable à cela. La chape de résine que nous avons prévu de mettre en œuvre sur la face compensera le dénivelé.
L'opération de cette semaine ayant été assez anxiogène - tu nous connais - nous y sommes allés tout doucement en prenant plein de précautions.

Demain, Benoit part chercher les résines à Paris, le fournisseur ayant réouvert ses portes après les congés. Vendredi, nous façonnerons la chape de mortier de sable/résine sur la face qui consolidera les carreaux pendant la découpe du panneau et permettra l'élimination de l'épaisseur du support en béton. Samedi ou dimanche, si tout s'est bien passé, nous lèverons à nouveau le panneau, puis le basculerons dans l'autre sens pour le disposer à l'envers. Et ce n'est qu'en début de semaine que nous mettrons en place la machine de découpe démontée samedi dernier au Louvre qu'il faudra adapter à l'exiguïté des lieux. Alors seulement nous procéderons enfin à la libération progressive des 64 carreaux du premier panneau de "l'Arbre" du reste de mur de la villa Natacha qui l'emprisonne encore à son statut immobilier.

Mais cela est une autre histoire que nous te conterons bientôt.

Nous t'embrassons.

Sandrine et Benoit