INFOSCULPTURE
Un art millénaire à l'ère numérique
Roland, Olivier & Benoit Coignard
Article paru dans les actes du congrés Informatique et conservation-restauration
de Chalon-sur-Saône - octobre 97
Depuis les temps les plus reculés, la sculpture a suivi et vraisemblablement suscité l'évolution technologique. A chaque étape, elle a élargi son vocabulaire et sa force d'expression. Ainsi l'âge du bronze a-t-il libéré l'artiste des limites propres à la pierre. Ses oeuvres gagnèrent en audace et en légèreté. Les nouvelles techniques et matériaux de l'ère industrielle lui permirent d'occuper l'espace avec une vigueur nouvelle faite de feuilles et de tiges souples et résistantes cherchant à vaincre un peu plus les contraintes de la pesanteur. Notre fin de siècle lui offre le moyen de s'affranchir de la matérialité pour que ses oeuvres voyagent sur les autoroutes de l'information.
Née des récentes techniques de numérisation des volumes, l'Infosculpture est une nouvelle discipline détournant des procédés conçus pour un usage industriel au profit de la conservation et de la restauration du patrimoine tridimensionnel, et de la diffusion de la création contemporaine. Depuis près de dix ans, elle explore les potentialités générées par ces technologies dans le domaine de l'art et initie le développement d'applications spécifiques. Créant des liens pratiques entre les procédés d'acquisition, de traitement de l'information et de reproduction 3D, elle ouvre des voies nouvelles notamment dans la simulation en matière de restauration, le téléportage et le commerce électronique sécurisé des oeuvres d'art.
Les débuts
Toute démarche innovante à sa genèse dans la reconnaissance des limites à surmonter. Nos premières expériences débutèrent en 1989 avec une statuette archéologique en laiton martelé conservée au musée de Beauvais, le Dieu guerrier gaulois de Saint-Maur. Sa restauration posait à cause de son extrême fragilité des difficultés particulières : d'une part sa fragmentation nécessitait la création d'une doublure intérieure formant support, d'autre part, une réplique par moulage aurait été souhaitée pour satisfaire aux besoins d'exposition si l'état du métal n'avait pas constitué un obstacle à sa réalisation.
Par ailleurs le laboratoire de recherche de France-télécom avait développé un procédé original de reconnaissance de forme en réponse à divers besoins de la robotique industrielle. Il apparu à son initiateur, Francis Schmit, directeur du programme, que passer de la forme industrielle à la géométrie complexe d'une oeuvre d'art en trois dimensions était théoriquement possible. Ce fut l'objet du programme Camille, financé par le service de la recherche et de la technologie du ministère de la culture dirigé par M. Dalbéra, auquel nous étions dés l'origine associés avec pour objectif la reproduction du dieu guerrier gaulois de Saint-Maur.
Au-delà de la saisie nous étions en quête d'un procédé de reproduction qui évite autant que possible le recours à la retouche manuelle. Au CNRS de Nancy apparaissait alors une technique nouvelle - la stéréolitographie - vouée à la matérialisation de formes conçues en CAO. De la rencontre avec l'un de ses créateurs, Jean-Claude André, nous avons orienté le projet vers ce procédé et obtenu avec le dieu guerrier gaulois le premier fac-similé numérique d'une oeuvre d'art (1). C?est lors de la présentation officielle de ces premiers résultats au ministère de la culture en 91 que nous avons fait la connaissance de la société Mensi, dont le scanner Soisic-Ipsos était en cours de développement, et qui allait devenir les années suivantes un partenaire privilégié pour poursuivre nos expériences. Dans la même période, outre-atlantique, la société Cyberware (2) inaugurait une démarche similaire. C?était sans doute l'air du temps.
Nous avions tiré de cette première expérience une vision globale captivante du potentiel pour la conservation, la restauration, l'archéologie et la création et les nécessaires progrès à accomplir constituaient notre programme de développement : Fixer l'état actuel du patrimoine 3D et produire des copies de substitution pour les oeuvres fragiles ou particulièrement exposées ; expérimenter les possibilités de simulation et de restitutions en restauration en créant des ponts vers d'autres logiciels (CAO, architecture, modeleur, etc) ; associer les informations vidéo ou photographiques de l'objet aux données volumétriques ; concevoir virtuellement les muséographies et aussi la reconstruction de monuments à partir des fragments archéologiques réels ; réaliser des supports et des conditionnements au négatif des oeuvres ; créer des bases de données 3D et un réseau international pour l'étude comparative des oeuvres d'art et la police du marché illicite ; permettre la pédagogie et la diffusion du patrimoine par l'édition de maquettes ou de répliques fidèles indépendantes de l'échelle originale ; enfin téléporter et pourquoi pas commercialiser les sculptures sur Internet...
La question était alors : dans quel ordre entreprendre ce vaste programme ? La réponse fut quelque peu décevante. Malgré la pertinence de ces projets au vue des premiers résultats le financement institutionnel se trouvait temporairement interrompu. Nous avons beaucoup espéré de l'intérêt porté dés 91 par le service du mécénat d'EDF auquel nous avons communiqué alors nos objectifs, mais il fallu attendre 1994 et l'aide financière du Crédit Agricole d'Arles pour entreprendre une seconde étape déterminante : un première simulation informatique au service de la conservation-restauration.
Empreinte analogique, empreinte analytique
Il nous semble utile à ce point du propos de rappeler, que les technologies d'acquisition 3D prennent appui sur un principe connu depuis l'antiquité et sans doute en usage bien avant que la mathématique ne l'ait formalisée. La prise d'empreinte sur un volume par un matériau plastique comme l'argile permettait de couler dans le négatif une réplique fidèle de l'originale ; c?est le procédé analogique. Reproduire une oeuvre en pierre dans une autre pierre posait au sculpteur un problème tout autre, que son intuition et sa logique sûrent résoudre par des prises de mesures empiriques et l'usage du compas. Ce savoir faire initiait une approche analytique de la définition du volume@. La méthode des compas se fonde donc sur le principe mathématique de la triangulation, qui détermine la position spatiale de chaque point de la surface d'une sculpture relativement à trois points de référence. Plus d'un metteur-au-point a dû rêver de multiplier ces mesures à l'infini pour s'approcher de la perfection dans la reproduction d'une oeuvre d'art. Mais la patience à ses limites. Dans l'intervalle entre les points de mesure, il fallait encore interpréter la forme avec toute la subjectivité que cela suppose. Ce qui distinguait donc la copie du moulage, la méthode analytique de la méthode analogique était la présence de la sensibilité de l'interprète en superposition à celle de l'auteur. Aujourd'hui l'interprète est un ordinateur qui tend une surface sur un nuage de points de haute densité. Pour n?être plus subjective la recréation d'une surface n?en demeure pas moins interprétative.
Cette distinction est fondamentale pour apprécier à sa juste valeur l'apport des technologies d'acquisition 3D à la sculpture et en mesurer les limites. En effet, même si le rêve de notre metteur au point s'est en partie réalisé, si le nombre des points de mesure sur la surface d'une oeuvre atteint une densité telle que l'?il de prime abord ne distingue plus la différence entre l'original et la copie, gardons-nous bien d'affirmer que les deux approches se sont rejointes. Dans un autre domaine, la préférence des mélomanes pour le vieux disque vinyle, malgré le timbre altéré et les craquements, est significative. Elle montre que le CD audio a encore des progrès à accomplir pour rendre ce qui fait l'essence fondamentale de tout art : la subtile sensibilité humaine. Il en est de même pour la numérisation de sculpture. l'expérience prouve, que même en optimisant le maillage de saisie (5/10ème de mm maximum pour le scanner Soisic-Ipsos, 2/10 pour le prochain prototype) et la finesse des procédés de reproduction, le rendu de surface est naturellement assez loin de la qualité des moulages en élastomère qui rend au micron prêt la nature de la surface "empreintée". Saisir numériquement la granulomètrie du matériau serait l'objectif à atteindre pour compléter l'arsenal technologique actuel et concurrencer les méthodes traditionnelles. Tant que cet objectif ne sera pas atteint, seule l'empreinte analogique rendra compte du traitement de la surface voulu par l'artiste, de la manière progressive et diversifiée dont il la fit jouer avec la lumière, bref de la sensibilité globale de l'oeuvre d'art.
Il est donc préférable aujourd'hui d'apprécier les domaines où le numérique apporte des possibilités irremplaçables : au premier rang de toutes, le ?moulage optiqueî des oeuvres fragiles. Le dieu guerrier gaulois est un exemple éloquent et avec lui tout matériau qui risquent de s'altèrer chimiquement ou mécaniquement au contact d'élastomères : les sculptures polychromes sont recouvertes d'enduits, d'une ou plusieurs couches picturales témoins d'une longue histoire, diversement fixées au matériau support et qui pourraient se trouver arrachées lors du moulage ; les matières vulnérables au rang desquelles les bois gorgés d'eau (ex: numérisation d'une statue gauloise avant traitement à Bobigny en 96), ou les pierres pulvérulentes qui posent des problèmes parfois insurmontables au restaurateur. Comment nettoyer une surface dont le support se réduit en poudre au moindre contact ; comment consolider cette poudre sans fixer les salissures. En préalable à toute intervention, il serait donc très utile de procéder préventivement à la conservation numérique de l'épiderme de l'oeuvre.
La simulation en restauration
Une statue colossale de l'empereur Auguste présidait autrefois sur le mur du théâtre antique de la ville d'Arles où elle avait été installée vers 12 ou 10 av. J.C. Le temps ayant fait son oeuvre et effacé son souvenir, le torse en marbre réapparu en 1750 et ce n?est qu?en 1834 qu?une tête lui correspondant fut exhumée à son tour qui permit d'identifier la représentation d'Auguste debout en semi nudité héroïque. Cette découverte encouragea la poursuite des fouilles et la découverte d'un ensemble de fragments de draperie, mais en calcaire cette fois. l'historien Fernand Benoît formula l'hypothèse selon laquelle la statue était composée du corps en marbre blanc d'Italie enchâssé dans un drapé de calcaire probablement d'origine locale, peint (traces de pourpre) pour rehausser le contraste. Aucune cassure commune, et pour cause, ne pouvait venir étayer cette hypothèse d'une statue composite. Seule une tentative de remontage aurait permis de vérifier stylistiquement la concordance des deux parties. Mais le volume et le poids de l'oeuvre (le torse d'une part et le drapé de l'autre pesant chacun 900kg), et la fragilité du drapé éclaté en une dizaine de fragments interdisait cette expérience hasardeuse.
l'ouverture de l'Institut de recherche sur la provence antique (IRPA) à l'initiative de M. Rouquette a été l'occasion d'une importante campagne de restauration des collections antiques et paléochrétiennes pilotée par le service de restauration des musées de France. Étant en charge de la restauration de l'Auguste, nous avons appliqué la simulation informatique à la solution de ce problème. Il s'agissait de procéder à un relevé en trois dimensions par balayage laser des fragments de la statue, puis de réaliser des modèles numériques à partir de ces données et enfin de procéder à l'assemblage virtuel de la statue. Cette opération a été réalisée en janvier 1995 avec le scanner-logiciel Soisic-Ipsos de la société française Mensi. Examinée sous tous ses angles, le clone de l'empereur Auguste réassemblé virtuellement tenait ses promesses et confirmait l'hypothèse de F. Benoît. Restait à déterminer, en l'absence des jambes et de la base, son attitude naturelle ou du moins vraisemblable et à concevoir, à partir des données physiques fournies par le logiciel (poids et centre de gravité des fragments et de l'ensemble) un modèle de socle esthétique qui garantisse la sécurité de l'oeuvre et du public dans une zone à risque sismique. Après plus d'un siècle d'expectative, l'étape ultime du remontage se déroula selon le programme conçu lors du montage virtuel : carte en main ; l'axe de gravité déterminé par le logiciel permettant de positionner avec précision les sangles lors du levage et les images imprimées de l'Auguste numérique d'orienter les manoeuvres et le positionnement des pièces. Enfin une reproduction à échelle réduite de la statue a été réalisée gracieusement à partir du fichier numérique par Jean-Claude Tasse du Centre de transfert de technologie du Mans (CTTM), pour le tournage de notre film ?Sculpture numériqueî (3).
Adapter une technologie d'usage industriel aux applications patrimoniales et en particulier aux besoins des restaurateurs n?est pas chose simple. Certains développements logiciels sont en attente depuis 91, faute de financement, pour accroître l'efficacité et l'usage de la simulation en restauration. La principale difficulté rencontrée au co@urs de cette expérience résidait dans la comparaison des formes et dans l'accostage des fragments entre eux ; à la différence d'objets réels, les clones numériques ont en effet la faculté de s'interpénétrer. Parmi les développements prioritaires de l'infosculpture, le ?collage virtuelî permettrait par exemple de comparer par degré de similitude les surfaces de cassures, puis de les faire se rapprocher en ?magnétisantî les zones similaires. Un contrôle visuel des rapprochements effectués suffirait généralement à en évaluer la pertinence. En cas de doute une analyse complémentaire de concordance des surfaces serait possible qui intégrerait des outils vectoriels, tels des NURBS, permettrait de prolonger les courbes de chacune des parties rapprochées et de vérifier leur probable continuité. Cette technique autoriserait aussi d'évaluer des hypothèses de rapprochement en l'absence de point de contact : une partie de l'avant bras ayant disparu la main appartient-elle à ce corps ? Nous entrons dès lors dans le domaine de la restitution de lacunes. Ici, le regard du sculpteur et celui de l'historien d'art qui se complètent utilement, pourraient confronter leurs hypothèses à des modélisations anatomiques. Appliquer à une sculpture de Michel-Ange les modèles anatomiques numériques, au-delà de ce qui pourrait n?être qu?un gadget sympathique (faire vivre à l'écran la statue de David), permettrait des investigations nouvelles pour une meilleure connaissance des oeuvres lacunaires. La multitude de morceaux arrachés sur les monuments antiques et dispersés dans les collections du monde entier justifie pleinement les développements logiciels qui permettront, sans déplacer les objets, de comparer, rapprocher et compléter virtuellement ces oeuvres d'art depuis longtemps fragmentées. Enfin la restauration des oeuvres pose des problèmes d'ordre physique qui échappent à l'appréciation directe et donc à l'expérience professionnelle. Comme l'Auguste d'Arles l'a démontré, il sera aussi possible d'effectuer des calculs de résistance (diamètre profondeur et emplacement de goujons par exemple) apportant au restaurateur une contribution objective rigoureuse là où l'empirisme prévalait jusqu?alors. Dans l'année à venir, nous envisageons une opération similaire pour remonter le Colosse d'Alexandrie à partir des fragments partiellement récupérés en mer sur le site du phare et en vue de son exposition à Paris.
La conservation du patrimoine
Au XIX siècle, Violet le Duc entreprit de mouler systématiquement les fleurons du patrimoine sculptural français. Nous mesurons aujourd'hui toute l'importance de ce travail titanesque lorsque vibre encore sur des répliques en plâtre toute la sensibilité que les originaux ont malheureusement perdu. La numérisation permet de fixer l'état actuel des oeuvres anciennes dont on sait que pour la plupart, leur situation géo-climatique est le principal obstacle à leur conservation. Que dire en plus de l'incidence de l'activité humaine sur leur lente détérioration. Après un siècle de pollution nous n?en connaissons que trop les conséquences ; il faut enfin prendre en compte les conflits et la pauvreté qui en maints endroits du globe engendrent vandalisme et pillage. Des campagnes de numérisation pourraient être entreprises sur les monuments majeurs du patrimoine mondial (Angkor, Karnac, Chartres, etc.) pour assurer la mémoire des formes comme un maillon de la conservation préventive. Il faut souligner que l'existence même du procédé suscite le devoir d'en faire usage pour garantir la transmission du patrimoine aux générations à venir.
Les avantages de la numérisation sur le moulage traditionnel sont déjà appréciables : pas de risques pour l'objet inhérent à la technique ; la rapidité de saisie et l'absence de fournitures consommables (à durée limitée) diminue les coûts de la prise d'empreinte ; la conservation des seuls nuages de points permet de différer le traitement de l'information en attendant des techniques plus performantes et des procédés de reproduction plus fidèles ; les fichiers numériques sont certes volumineux mais rien à voir avec les problèmes posés par le stockage des moules.
La numérisation systématique des oeuvres du patrimoine ouvre la voie à des applications scientifiques non négligeables. Ainsi elle permet le remontage virtuel de monuments ruinés complétant de données réelles les modèles en CAO (4), la conception d'une muséographie à intégrer dans l'architecture d'un musée, ou de relever étape par étape l'évolution nécessairement destructrice d'une fouille archéologique. Nous projetons d'entreprendre avec les représentants concernés, l'anastylose virtuelle de temples au Cambodge, de contribuer à la formulation d'hypothèses pour la reconstruction en réalité virtuelle d'arc de triomphe romain à partir des fragments connus disséminés dans la ville d'Arles, ou l'installation d'oeuvres de grande taille, comme le ?grand Nagaî de la collection khmers, dans le cadre de la rénovation du musée Guimet. La création d'une base de données 3D internationale offrirait aux chercheurs la possibilité de rapprocher les oeuvres fragmentées des collections égyptiennes des musées du monde (par ex.) dont on ne sait combien d'oeuvres pourraient ainsi se trouver reconstituées par collage virtuel. Faut-il citer encore le cas des tracés primitifs ou protohistoriques, tels que ceux qui caractèrisent le site de Mouriès, où altérations et accidents s'imbriquent au point d'en empêcher la lecture. l'enregistrement 3D d'une des stèles en octobre 96 attend un traitement particulier qui consistera à ?gommerî pas à pas les blessures pour faire réapparaître la gravure. Cela laisse entrevoir ce que pourra apporter la comparaison numérique des ?traces d'outilî à l'archéologie et à l'histoire de l'art. Enfin, un clone numérique permettrait d'identifier avec certitude une sculpture volée sur un temple et réapparue sur le marché parallèle renforçant ainsi l'efficacité des services spécialisés.
Non moins utile s'avèrera l'utilisation des données numériques d'un objet à la réalisation d'emballages. En effet une surface définit aussi bien un volume positif que son négatif. et quel meilleur écrin protecteur qu?un moule ! Malgré toute la compétence des transporteurs, partenaires des expositions, des incidents surviennent parfois de l'inadaptation des conditionnements aux objets transportés. Mousses trop molles ou trop rigides, taillées approximativement pour épouser les volumes ... des pressions s'exercent ou ne s'exercent pas aux bons endroits et des oeuvres se cassent lors de déménagement. l'application de formule logicielle permettrait le choix approprié de la densité des mousses relativement au poids des oeuvres, et la modélisation d'un emballage au négatif de leur forme. Encore faut-il que l'emballage se déboîte facilement. Imaginons qu?un voile élastique soit tendu sur une ronde-bosse ; la forme simplifiée et de ?dépouilleî qui en résulte serait générée, dans notre projet, par un programme à partir du modèle numérique, puis t@aillée en négatif dans la mousse par une machine à commande numérique. De même, l'empreinte négative permettrait de façonner une assise parfaitement adaptée à des oeuvres que la base lacunaire instablilise.
En tant que sous produit d'un effort de conservation préventive, l'édition d'art devrait, elle aussi, connaître un nouvel essor. En vue de l'exposition du Grand palais, ?Angkor, 10 siècles d'art Khmerî, nous avons proposé à la Réunion des musées nationaux l'édition numérique d'une pièce majeure du musée national de Phnom Penh, le Harihara de Prasat
Andet et d'une tête de Bouddha du musée Guimet. Numérisées en collaboration avec l'équipe Mensi, elles ont été reproduites à échelle réduite par stéréolithographie (Sté MMB) puis éditées par des procédés traditionnels dans les ateliers de moulage des musées nationaux. Première édition du genre, ces deux oeuvres sont aujourd'hui à la disposition du public dans les boutiques de la RMN. Le format numérique de ses oeuvres leur promet en outre un avenir certain sur le marché électronique de l'art.
Quels en sont aujourd'hui les limites ? Mis à part la question relative au niveau de définition décrit plus haut, ou les difficultés propres au traitement des données (les fichiers peuvent être très lourds pour les processeurs), il n?existe pas assez de types de scanners pour appréhender tous les cas de forme ; autant faut-il diverses optiques pour tout photographier, autant l'infosculpteur attend des concepteurs de scanners une variété de modèles spécialisés à des applications particulières : numériser un bijou, un hiéroglyphe ou une cathédrale relève du même principe mais pas du même outil. Avec un laser sur pied du type Soisic-Ipsos, le relevé d'une ronde-bosse de dépouille moyenne se fera aisément par quelque points de vue. Sa souplesse permet en outre de s'adapter in situ à de nombreux cas de figure, de la sculpture aux monuments et aux sites archéologiques (numérisation du Pont-Neuf) ainsi que l'intérieur d'un bâtiment grâce à sa rotation sur 360° (grotte Cosquer : combinaison scanner Soisic-Ipsos et photogramétrie). Une ronde-bosse à creux prononcés laissera par contre des ?zones d'ombreî qu?il nous faudra saisir indirectement (empreinte par estampage qui sera numérisée en négatif et réincorporée au modèle). Dans le cas d'un haut-relief, les zones d'ombre peuvent être très importantes quelque soit le nombre de points de vue.
Un éventail de technologies
Il existe en fait deux approches distinctes pour définir analytiquement un volume ; l'une l'aborde par la surface, l'autre par le corps de l'objet. En d'autres termes, l'une simule la fonction visuelle tandis que l'autre appréhende l'espace comme une succession de plans superposés qui découpent l'objet à définir. Ces deux démarches se retrouvent exprimées dans un éventail de technologies en cours de développement à la fois pour l'acquisition, le traitement et la production d'objets tridimensionnels. A cette première approche appartient le scanner Soisic-Ipsos de la Sté Mensi (5). Apparaissent aussi de nouveaux capteurs qui pourraient utilement compléter ses performances : le capteur de 3D Scanner ou le récent prototype de Kréon Industrie (dont le bras articulé et la courte distance de saisie permettent dans l'un et l'autre cas un balayage manuel contrôlé en temps réel sur écran) seraient de nature à éliminer en partie les zones d'ombre du fait de leur maniabilité pour l'opérateur. Sur le modèle des premiers capteurs de Cyberware ou de France-Télécom, ils utilisent un faisceau laser plan au lieu d'un spot ponctuel. Cette caractéristique pourrait, en principe, accélérer la saisie d'un volume puisque l'ensemble des points de la surface de l'objet situé sur le plan du faisceau est saisi simultanément. Mais leurs caractéristiques actuelles - faible profondeur de champ, bras articulé - s'adaptent essentiellement aux objets de petite et moyenne dimension. d'autres concepts - capteurs constitués d'un caisson et d'un plateau tournant où est placé l'objet - ont des performances remarquables en terme de définition sur de très petits objets (petits bronzes, bijoux, etc). La lumière structurée est une autre approche sans doute prometteuse dont le principe consiste à projeter une lumière blanche tramée sur la surface de l'objet. l'image est visualisée par une vidéo au travers d'une seconde trame avec un angle constant. l'analyse de la superposition des trames génère la volumétrie de l'objet. Son intérêt principal réside dans la quasi instantanéité de la saisie des données utiles dont le traitement est différé, mais sa faible profondeur de champ et la nécessité de blanchir les surfaces limitent actuellement son utilisation. La triangulation n?est certes pas l'unique moyen de mesurer le volume ; les techniques optiques de ?mise au pointî peuvent aussi fournir quelques informations utiles sur la distance qui sépare le capteur des points à mesurer, comme le fait l'?il pour apprécier les longues distances. Enfin, pour être complet, faut-il faire état de la mesure du ?temps de volî, ainsi joliment nommée pour rendre compte du calcul du temps mis par une onde électromagnétique, ultrasonique ou lumineuse à effectuer un aller et retour entre le capteur (émetteur & récepteur) et l'objet. Ici, c?est le principe de l'écho qui s'applique à la mesure des volumes (6).
Il faut faire correspondre à une approche visuelle de la surface les techniques de reproductions numériques héritières de la taille traditionnelle. Ainsi, les fraiseuses cinq axes à commande numérique sont-elle théoriquement en mesure de répliquer toutes les surfaces en taillant les volumes en excès à partir d'un bloc (soustraction). Le principal avantage de cette méthode est de permettre la réplique d'une oeuvre dans un matériau similaire. Lorsque les équipements (et les coûts) seront adaptés à la taille de matériaux aussi variés que les bois et les pierres, c?est sans aucun doute par ce procédé que des facsimilés d'oeuvres particulièrement exposées pourront se substituer aux originaux dans le respect de l'intégrité des monuments et des sites. La taille des emballages, de certains socles/prothèses ou de restitution de lacunes entrent dans cette catégorie d'application.
Mais il est des procédés de reproduction qui abordent le volume trés
différement (construction). Comme évoqué plus haut dans cet article,
la stéréolitographie nous a permis de produire la première reproduction
numérique avec le Dieu guerrier gaulois. Il s'agit d'une cuve de résine époxy liquide équipée d'une grille affleurant la surface de la résine et d'un faisceau laser rayonnant dans les UV. Celui-ci photopolymérise la géométrie d'une première couche de l'objet à reproduire sur la surface de la grille. Le clone numérique de l'objet est donc au préalable découpé en tranche pour piloter pas à pas la reconstruction (fichiers STL). La grille descend ensuite d'un dixième de millimètre pour que le laser photopo@lymérise la seconde couche de l'objet. Au terme de la procédure l'objet reproduit dans la cuve émerge du liquide ; un moment non dépourvu d'une certaine poésie. Plus prosaïquement, d'autres méthodes par couches sont apparues ces dernières années qui apportent des avantages économiques. Le procédé LOM reconstruit à partir de feuilles de papier découpées au laser et superposées ; la dépouille de l'objet s'effectue au terme de la reconstruction par élimination du papier à la périphérie de l'objet. Enfin le ?fritageî applique la même méthode en fusionnant entre eux des grains de poudre, de nylon par exemple, couche après couche. Bien que moins précise pour le moment que les deux méthodes précédentes, l'avantage récent du fritage est son application à la réalisation de moule en poudre de céramique réfractaire. Il permet en effet de couler des bronzes directement à partir du modèle numérique construit en négatif. La statue de l'empereur Auguste a, quant à elle, été reproduite par le procédé Cubital - sorte de photocopieuse 3D - qui malgré l'intelligence du concept semble déjà devoir être relègué au musée des technologies numériques. Ainsi va l'évolution...
Quand est-il de la ?seconde approcheî en ce qui concerne les capteurs ? Tout le monde connaît aujourd'hui les scanners médicaux, ces tunnels qui ?découpentî notre corps en tranches pour mieux en comprendre le fonctionnement et la pathologie. La résonance magnétique nucléaire (RMN) ne permet pas sauf exception de pénétrer les matériaux qui nous intéresse alors qu?elle excelle sur les tissus vivants. Mais appliqué aux rayons X, la tomographie permet dans son principe d'explorer bien des oeuvres d'art. A l'Institut français du pétrole, grâce à l'amabilité de Mrs Schlitter et Menegazzi nous avons pu en février 97 effectuer quelques expériences particulièrement prométeuses pour la restauration. Si la radiographie (rayon X ou gamma) nous a rendu souvent de grands services, c?est à une vision tridimensionnelle du contenu des sculptures que nous invite la tomographie. Ce n?est plus le vague profil d'un goujon ou d'une crevasse qu?il nous est possible d'appréhender ; mais, à la manière dont de jeunes parents peuvent aujourd'hui se familiariser avec le visage et les mimiques de leur enfant in utéro (échographie ultrasonique 3D), un goujon peut être isolé, examiné sous tous les angles, les fissures suivies pas à pas, d'anciennes cassures étudiées comme la continuité/discontinuité des plans de collage. Car, à l'inverse des démarches précédemment décrites, c?est à partir d'images 2D, tranche par tranche (fichiers STL) que se reconstruit numériquement un clone 3D de l'objet étudié. Comme l'on isole le goujon parmi l'ensemble de données fournies par le scanner, il est possible d'extraire les seules informations relatives à la surface de l'objet. Or rien n?est caché à la tomographie, qui révèle la surface dans son intégralité. Ainsi les limites inhérentes aux capteurs de surface (zones d'ombre) se trouvent être franchies par ce nouveau procédé.
Les techniques de numérisation évoluent rapidement, orientées (car financées principalement) par des objectifs industriels souvent éloignés des besoins de l'Infosculpture. La conservation du patrimoine et l'art contemporain constituent pourtant un marché potentiel reconnu qui justifie de la part des développeurs un investissement technologique et logiciel conséquent. A nous de définir nos objectifs (et si possible de contribuer au financement de la recherche) pour que ces outils se développent et se standardisent conformément à nos attentes. Considérant par ailleurs que chaque oeuvre, chaque application, dicte une ?stratégieî d'acquisition, de traitement, voir de reproduction particulière, ces nouveaux outils ne sauraient être automatisés mais au contraire maniés par des opérateurs avisés. Il nous appartient donc de prendre la place qui nous revient en tant qu?utilisateurs auprés du technicien et de l'informaticien. l'apogée d'une technologie ne se mesure-t-elle pas à sa discète omniprésence ?
Commerce électronique
Du 7 au 9 avril dernier le “Centaureî, sculpture en bronze de Roland Coignard, a été téléporté depuis la France (CTTM) jusqu?en Allemagne (3D System) sur Internet. A l'occasion de la réunion du G7 à Bonn, cette opération spectaculaire a symbolisé le débat des 7 Grands sur l'avenir du commerce électronique et des droits d'auteurs. Reproduit en bronze à l'autre bout de la chaîne, le Centaure numérique a été offert par la Commission européenne lors des cérémonies inaugurales au président d'honneur, Mme le Maire de Bonn.
Cette dernière expérience d'infosculpture réalisée en collaboration avec un expert en matière de systèmes sécurisés pour le commerce électronique (J.F. Boisson : Euritis), résume à elle seule les enjeux économiques à venir. Comme le Centaure, l'Auguste, le Bouddha
et Harihara peuvent voyager sur les autoroutes de l'information et être reproduits à distance. Comme eux, les arts appliqués et le design industriel pourraient accéder au marché et réduire les délais entre la conception et la production d'objet de consommation. Le parc des machines de prototypage rapide constitue potentiellement un réseau de partenaires pour la reproduction de sculptures numériques et de concepts de désigner en tout lieu de la planète. Leur diffusion sur Internet pose évidemment la question des droits de l'auteur ou de ses ayant-droits, comme la protection des modèles contre le piratage. Aussi travaillons-nous avec la société Euritis dans le cadre d'un projet de serveur international pour les arts plastiques à la conception d'un système sécurisé de transactions commerciales au centre duquel un ?notaire électroniqueî crypte et protège l'accès aux fichiers, établit les contrats, et gère le télépaiement. Notre objectif est de garantir aux artistes plasticiens le ?droit à la communicationî défini par l'Association international pour les arts plastiques de l'Unesco comme la condition de leur accès au marché mondial, et de générer de nouvelles sources de revenus aux professions artistiques. Dans le même ordre d'idée, la commercialisation de reproductions d'oeuvres majeures via Internet ne serait-elle pas une manière élégante de partager le patrimoine de l'humanité tout en créant les fonds nécessaires à des campagnes de numérisation systématique pour garantir sa transmission à la postérité ?
Ainsi la sculpture s'affranchit-elle du lien millénaire avec la matière tangible. Certes le Centaure est une oeuvre bien matérielle et le numérique vient ici encore se mettre humblement au service d'un savoir faire traditionnel. Mais quelles nouvelles oeuvres naîtront de l'exploration créatrice à l'ère numérique dés lors que la lumière s'affirmera comme une réelle matière première ? Aux artistes d'écrire cette nouvelle page de l'histoire de l'art. La numérisation 3D contient donc en germe une révolution culturelle aussi importante que l'apparition de la photographie au siècle dernier. Le photographe fut cet utilisateur exigent, partenaire dés l'origine, indispensable vecteur qui orienta en son temps les progrès de l'optique, de l'argentique jusqu?au numérique pour que le monde adopte la technologie et l'assimile dans l'évolution culturelle. l'infosculpteur est ce médiateur qui donne une fonction et un sens à l'outil en train de naître pour que la culture se l'approprie.
(1) - En amont des technologies numériques, la photogrammétrie constitue un précédent notoire à notre démarche. Apparue en 1850, grâce au français Laussedat, elle s'appliqua dés l'origine au relief de monuments. Depuis la Seconde guerre mondiale, elle connu un développement important pour la cartographie grâce à la photographie aérienne et sous marine et s'appliqua au relevé non destructif d'objets ou de sites archéologiques. Plus récemment, elle fournit des données volumétriques pour l'étude des chevaux de St-Marc. l'expérience la plus proche de notre propre démarche s'est achevée en ce début 97. Sous la direction du Professeur Accardo en Italie, elle s'appliqua avec succès à la définition puis à la reproduction du volume global (achevé par retouche manuelle) de la statue de Marc-Aurel à Rome par découpe et superposition de couche de PVC de 5mm d'épaiseur. Lente, donc coûteuse par rapport à des techniques plus récentes, la photogrammétrie pourrait cependant connaître de nouveaux développements avec la lumière structurée.
(2) - La Sté Cyberware est née en Californie de l'aspiration de quelques techniciens à développer un scanner pour la numérisation de sculptures. Leur source de financement (imagerie virtuelle pour l'industrie du cinéma) a orienté leur procédé vers la saisie rapide (quelques secondes) de modèle vivant et simultanément des informations de couleur. Leur avance dans ce domaine (animation du clone de l'acteur Boringer) s'est fait au détriment de leurs objectifs initiaux.
(3) - Ce film, présenté à Tlaxcala au Mexique en septembre 95 au congrès de l'Association internationale pour les arts plastiques de l'Unesco retrace pas à pas la numérisation et la reproduction d'une sculpture contemporaine et de la statue d'Auguste. Co-produit par Comité français le l'Aiap/Unesco et les Films de la Clapes il a été primé en octobre 96 au festival international du film d'art de l'Unesco.
(4) - Sur le site de Marmaria, à Delphes, des éléments du temple de Tholos (statues du site et de musées) ont été numérisés et incorporés à une restitution du temple en CAO concrétisée par un film de réalité virtuelle et une maquette en stéréolitographie réalisée par la Sté DPS. Cette récente expérience, réalisée avec le scanner Soisic-Ipsos de la Sté Mensi et le concours d'EDF, démontre la faisabilité de la proposition que nous leur avions soumise en 91.
(5) - Le principe de triangulation appliqué à la mesure de la position d'un objet dans l'espace est similaire à la vision humaine. Le modèle biologique est d'une précision remarquable : ainsi la main saisie-t-elle sans difficulté un objet au millimètre près à partir de l'information fournie par les deux yeux et analysée par le cerveau. Un capteur à spot laser effectue pour un point la même opération : un oeil émet un spot sur la surface de l'objet, que l'autre "oeil" perçoit par une optique et localise sur une barrette CCD. Connaissant la distance entre les deux "yeux" (premier coté du triangle), l'angle d'émission et de réception du spot permet au ?cerveauî de calculer le point d'intersection des deux autres cotés du triangle et donc leur longueur respective qui détermine la position du point dans un plan. Le balayage linéaire de l'objet dans le plan, puis la répétition de l'opération sur des plans successifs en rotation sur l'axe des ?deux yeuxî permet d'appréhender la globalité de la surface visible à partir d'un seul point de vue. Il résulte de l'opération un nuage de points que le logiciel traduit en coordonnées cartésiennes. Le capteur sera déplacé autour de l'objet en autant de point de vue que l'exige la complexité de la forme. Les nuages de points de chaque point de vue seront ensuite assemblés grâce à des repères disposés au préalable dans la scène à saisir. Il s'agit de sphères - objets mathématiques réductibles à un point quelque soit l'angle de vue - disposées autour de l'objet de telle sorte que trois d'entre elles soient visibles sur chaque scène. La précision de la mesure par triangulation est inversement proportionnelle au rapport entre la longueur de référence (distance entre les deux yeux) et le carré de la distance entre le scanner et l'objet.
(6) - Cyra, un procédé américain, héritier de la recherche spatiale et utilisant la mesure de temps de vol de la lumière, a des objectifs désignés dans notre domaine d'application. Il est trop tôt pour savoir si ses résultats concurrenceront les capteurs existants dans les courtes distances, notamment la triangulation par spot laser qui s'avère aujourd'hui la plus précise. Dans le principe, elle pourrait réduite encore la persistance de zones d'ombre.